Dois-je vraiment placer mon lit au Nord? Ou, qu’est-ce que l’astrologie?

Nous avons tous entendu ce conseil de nos grands-mère : placer son lit au Nord. Mais d’où vient cette idée ? Est-ce simplement une superstition, ou y a-t-il quelque chose de plus profond derrière ?

Depuis quelques siècles en Occident, nous vivons dans un monde façonné par le naturalisme[1]. Il s’agit d’une vision du monde où la nature est considérée comme un objet extérieur à nous, quelque chose que l’on observe, gère et contrôle. Nous nous voyons comme les seuls êtres dotés d’une vie intérieure, comme étant en quelque sorte au-dessus de la nature plutôt qu’à l’intérieur, séparés d’elle plutôt qu’ensemble, elle n’est pas nous[2].

Mais les humains n’ont pas toujours vu le monde de cette façon. Selon l’anthropologue Philippe Descola, il existe quatre grandes manières pour les humains de se rapporter au monde : l’animisme, le totémisme, le naturalisme et l’analogisme[3]. Chacun de ces modes propose une compréhension particulière des relations entre les humains, les animaux, les plantes et le cosmos.

Par exemple, les Achuar de l’Amazonie — qui incarnent une vision animiste du monde — n’ont pas de mot pour « nature », car ils ne la perçoivent pas comme quelque chose de séparé. Pour eux, la nature n’est pas extérieure ; elle fait partie d’eux[4]. Cela diffère radicalement de la vision naturaliste dominante dans le monde occidental moderne.

Mais ce projet naturaliste de « Nature » en tant que réalité distincte de nous n’a pas toujours existé, il s’est construit pas à pas. L’une des premières étapes se situe dans la Grèce antique, lorsque la nature (physis) est devenue un objet d’étude — soit quelque chose que l’on analyse de l’extérieur, premier pas en dehors de la nature. Plus tard, le christianisme a renforcé cette séparation en enseignant que les humains (Adam) avaient reçu la mission de protéger la création de Dieu. Mais pour protéger quelque chose, il faut d’abord se l’approprier. Ce glissement nous a éloignés encore davantage : la nature est devenue quelque chose à contrôler. La rupture définitive est survenue lors de la révolution mécanique[5], avec des penseurs comme Galilée, Bacon et Descartes. Descartes affirmait célèbre­ment que les humains devaient devenir « maîtres et possesseurs de la nature », et la nature elle-même fut réduite à un espace régi par des lois mathématiques[6].

Pour Descola, ce basculement historique — cette invention de la « Nature » — est ce qui a rendu possible le développement de la science moderne. Et cela a bien sûr entrainé de magnifiques progrès techniques: médecine, technologies et innombrables avancées. Mais cela nous a aussi conduits au capitalisme industriel, et avec lui à la crise écologique que nous connaissons aujourd’hui[7].

Mais qu’étions-nous avant de devenir naturalistes ? Nous étions analogistes.

Dans les cultures analogistes — comme celles des civilisations antiques occidentales, de la philosophie traditionnelle chinoise, des sociétés méso-américaines et de nombreuses cosmologies africaines — le monde était perçu comme une tapisserie d’analogies[8]. Il était compris à travers le jeu des ressemblances et des différences. Les anciens pressentaient que le microcosme reflétait le macrocosme — que nos corps reproduisaient la structure du monde [voir schémas 1 & 2]. De là sont nés des systèmes comme l’astrologie, où les mouvements du ciel sont liés aux événements de nos vies, ou la réflexologie plantaire, où le pied devient une carte de l’ensemble du corps. Dans ce monde, ce qui est vrai est ce qui est efficace.

Schéma 1 : microcosme

Schéma 2 : macrocosme

Dans le taoïsme, par exemple, la date de naissance détermine un élément (Bois, Feu, Terre, Métal ou Eau), qui exprime le caractère. Ces éléments sont soit yin, soit yang, et décrivent des traits de personnalité. Si vous êtes né sous le signe du Bois, vous êtes créatif et expansif. Les types Métal sont structurés et loyaux. Les types Terre sont patients, nourriciers et stables.

Encore aujourd’hui, en Occident, certains agriculteurs utilisent l’astrologie pour décider quand et comment planter. Ils alignent leur travail avec les constellations et les phases de la lune[9]. Chaque constellation élémentaire influence une partie spécifique de la plante[10]. Planter une tomate sous une constellation de Feu favorisera le fruit. La planter sous une constellation d’Eau donnera beaucoup de feuilles… mais pas de tomates. Mon arrière-grand-mère, par exemple, travaillait ainsi, avant que les pesticides n’arrivent en masse après la Seconde Guerre mondiale[11].

Voici le point essentiel : « croire » ou « ne pas croire » à l’astrologie n’a pas de sens si l’on reste dans notre cadre de pensée actuel. L’astrologie provient d’une manière totalement différente de se rapporter à la réalité. Ce n’est pas un combat entre rationalité et irrationalité, entre vrai et faux, ni entre science et superstition. C’est simplement une autre ontologie, une autre grille de lecture, une autre façon de voir le monde. Une manière d’être post-rationnelle.

Utiliser l’astrologie — ou toute pratique analogiste — n’est pas un rejet de la science. Il ne s’agit pas de revenir en arrière. Il s’agit de s’ouvrir à d’autres manières de comprendre le monde. Il s’agit de nous voir non pas comme des observateurs extérieurs à la nature, mais comme des participants à part entière.

Dans la pensée taoïste, si deux choses semblent se contredire, elles ne sont pas forcément en conflit. Elles peuvent être deux vérités différentes, coexistantes. L’une n’annule pas l’autre. Elles existent côte à côte.

Alors, revenons à notre question de départ : faut-il dormir avec son lit orienté vers le nord ? Peut-être pas. Mais avez-vous déjà essayé de dormir avec le lit orienté vers l’est ?

Si l’astrologie aide à se sentir plus relié, plus enraciné, plus en harmonie avec le monde qui nous entoure, alors peut-être que cela suffit. En fin de compte, pourquoi choisir entre être rationnel et être pratique — quand on peut être les deux à la fois ?

[1] Selon Philippe Descola, la société occidentale, qu’il qualifie de naturaliste, se distingue en traçant une frontière nette entre soi et autrui. Elle repose sur l’invention de la notion de « nature », qui implique une opposition fondamentale entre nature et culture. Dans ce cadre de pensée, les êtres humains sont considérés comme séparés de la nature, et non comme faisant pleinement partie d’elle. Philippe Descola, Par-delà nature et culture, collection folio essais, 2005, Paris; https://www.youtube.com/watch?v=UD1vw-d8ZJ0

[2] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, collection folio essais, 2005, Paris ; https://www.youtube.com/watch?v=UD1vw-d8ZJ0

[3] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, collection folio essais, 2005; https://www.youtube.com/watch?v=UD1vw-d8ZJ0

[4] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, collection folio essais, 2005, Paris ; https://www.youtube.com/watch?v=UD1vw-d8ZJ0

[5] Pour un développement dans une perspective féministe: Silvia Federici, Caliban and the Witch, Autonomedia, 2004; Emile Hache, De la génération, Enquête sur sa disparition et son remplacement par la production, Editions la découverte, 2024, Paris.

[6] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, collection folio essais, 2005, Paris; https://www.youtube.com/watch?v=UD1vw-d8ZJ0

[7] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, collection folio essais, 2005, Paris ; https://www.youtube.com/watch?v=UD1vw-d8ZJ0

[8] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, collection folio essais, 2005, Paris ; https://www.youtube.com/watch?v=UD1vw-d8ZJ0

[9] Passe-moi les jumelles, Paysans de montagne, charpentiers, tavillonneurs; ils vivent au rythme de la lune, 31 mai 2024, Radio Television Suisse, https://youtu.be/ViJ1tmivulc?feature=shared

[10] Michel Gros, Calendrier Lunaire 2025, Calendrier Lunaire diffusion, 2025, Chêne Bernard.

[11] L’Homme a mangé la Terre, documentary from Jean-Robert Viallet, Arte, 2019, https://youtu.be/NjrOv80HRx4?feature=shared

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